Difficile de dire aujourd’hui si le livre Ă©lectronique s’imposera, comment et Ă quel point. Mais on peut tenter d’imaginer quelles en seraient les consĂ©quences sur le petit monde des mĂ©tiers du livre. A quoi ressemblerait la librairie de demain ? A de simples points de vente nus, les murs couverts d’affichettes correspondant Ă autant de titres, un code-barre Ă scanner pour tĂ©lĂ©charger les titres choisis avant de passer en caisse ? Peu probable.
Suite et fin du dossier consacrĂ© Ă l’avenir du livre.
L’Ă©dition Ă©lectronique
Il suffit de jeter un coup d’oeil du cĂŽtĂ© du commerce de la musique numĂ©rique ou de celui, naissant du cinĂ©ma. Personne n’achĂšte de fichiers mp3s Ă la FNAC. Tout au plus la grande surface vend-elle des cartes qui permettent le tĂ©lĂ©chargement de chansons sur son site internet. Mais l’intĂ©rĂȘt du numĂ©rique est aussi de permettre la vente par correspondance instantanĂ©e : on achĂšte un livre, un film, un disque chez soi, devant son ordinateur, en chaussettes et mal rasĂ©, et on le reçoit immĂ©diatement. Dans ce cas de figure, il n’y a pas de place pour le libraire ou la librairie telle qu’on la connaĂźt aujourd’hui. Mais tous les livres seront-ils lisibles sur support numĂ©rique ? Si le Reader de Sony se prĂȘte parfaitement Ă la lecture d’un roman ou d’un journal, que dire d’une bande dessinĂ©e ou d’un beau livre ?
A l’INFL [1], toujours, on ne craint pas pour la librairie indĂ©pendante. En se calquant sur le modĂšle du piratage des films sur Internet, on peut imaginer Ă quoi ressemblerait les ventes de livres sur Internet : principalement les blockbusters, dans les semaines voire les jours suivant leur sorties. Un marchĂ© bien particulier qui est en grande partie occupĂ© par les hypermarchĂ©s, qui vendent du Da Vinci Code ou du AstĂ©rix par palette. Ce serait eux, principalement, qui auraient Ă souffrir de la dĂ©mocratisation du livre numĂ©rique, Ă tel point qu’ils en viendraient Ă abandonner totalement le secteur du livre, un produit bien plus complexe Ă gĂ©rer que le yaourt. La librairie indĂ©pendante n’aurait qu’Ă se pencher pour ramasser les parts de marchĂ©.
L’autre secteur qui serait bouleversĂ© par le livre Ă©lectronique, c’est la bibliothĂšque. On viendrait avec son livre Ă©lectronique, on choisirait les titres Ă tĂ©lĂ©charger sur un catalogue. La gestion des prĂȘts, grĂące aux DRM [2], serait considĂ©rablement simplifiĂ©e : au bout de cinq semaines, le fichier deviendrait illisible. Inutile de retourner Ă la bibliothĂšque pour le rapporter ! Ătant donnĂ© l’immatĂ©rialitĂ© du fichier, il serait disponible Ă l’infini mĂȘme en ayant dĂ©jĂ Ă©tĂ© empruntĂ© par d’autres usagers de la bibliothĂšque.
On pourrait donc possĂ©der facilement une bibliothĂšque Ă©norme et gratuite sur son e-book Ă condition d’aller la recharger une fois par mois. Le seul moyen d’empĂȘcher ce genre d’abus serait de limiter arbitrairement le nombre d’emprunts pour un titre ou pour une personne. On pourrait aussi imaginer un systĂšme d’abonnement, Ă l’image de celui de Napster To Go [3] pour le mp3 : contre un abonnement mensuel, l’utilisateur peut tĂ©lĂ©charger autant de livres qu’il veut, qui sont lisibles jusqu’Ă rĂ©siliation de l’abonnement.
Bouclons la boucle en revenant Ă nos chers Ă©diteurs, dont bien peu s’intĂ©ressent aujourd’hui au livre Ă©lectronique. En fait, la vĂ©ritable question est : le livre Ă©lectronique s’intĂ©ressera-t-il aux Ă©diteurs ? S’il est Ă©vident que l’e-book se passera des imprimeurs, on peut Ă©galement se poser la question de la place des Ă©diteurs dans l’avenir. Certains artistes, auteurs, musiciens ou autres proposent dĂ©jĂ sur leur site personnel le tĂ©lĂ©chargement d’oeuvres inĂ©dites contre rĂ©munĂ©ration, sans aucun intermĂ©diaire entre le crĂ©ateur et le public et, il faut bien le dire, sans grand succĂšs jusqu’Ă prĂ©sent. Mais la dĂ©mocratisation de ce systĂšme pourrait bien modifier complĂštement le paysage Ă©ditorial.
La moindre importance des Ă©diteurs provoquerait inĂ©vitablement une Ă©norme augmentation du nombre de livres publiĂ©s et, sans le rĂŽle de filtres et de « coachs » qu’ils jouent, une baisse gĂ©nĂ©rale de la qualitĂ©. Comment, dĂšs lors, sây retrouver dans un vĂ©ritable raz-de-marĂ©e de publications, si tout le monde pouvait sâimproviser auteur du jour au lendemain ? Comment parvenir Ă faire connaĂźtre ses textes dans un univers oĂč Ă©crire un livre serait aussi facile que de tenir un blog ? On verrait sans doute apparaĂźtre une flopĂ©e de sites critiques conseillant tel ou tel livre-fichier, bien plus puissant que lâactuelle presse spĂ©cialisĂ©e, puisque seul intermĂ©diaire entre lâauteur et le lecteur.
Ce tableau spĂ©culatif pourra sembler proche du dĂ©lire jubilatoire et je lâavoue : on en est loin. Lorsque sera disponible sur le marchĂ© un e-book rĂ©ellement confortable, il faudra sans doute quelques annĂ©es pour que le nouveau support se rĂ©pande et que la liste de titres disponibles soit consĂ©quente. Et mĂȘme une fois le livre Ă©lectronique aussi bien implantĂ© que lâest aujourdâhui la musique numĂ©rique en mp3, on sera encore loin du « tout numĂ©rique » et de tous les bouleversements prophĂ©tisĂ©s plus haut. Mais le premier jet de Sony, mĂȘme sâil est loin dâexploiter Ă fond les possibilitĂ©s fantastiques du papier Ă©lectronique, nous permet dâespĂ©rer un vĂ©ritable livre Ă©lectronique dâici quelques annĂ©es. Et quoi quâil en soit, entre la levĂ©e de bouclier provoquĂ©e par lâavĂšnement du moteur de recherche de livres de Google [4] et les dĂ©bats Ă lâAssemblĂ©e Nationale au sujet des DADVSI [5], câest assurĂ©ment un sujet dâactualitĂ© brĂ»lant !
[1] Institut National de Formation de la Librairie » www.infl.fr
[2] Les Digitals Rights Managment (gestion des droits numĂ©riques) permettent d’interdire la lecture d’un fichier numĂ©rique par un autre utilisateur que l’acheteur ou aprĂšs un certain temps d’utilisation.
[3] Napster To Go propose, contre un abonnement mensuel de 14,99$, de tĂ©lĂ©charger une infinitĂ© de titre qui cessent d’ĂȘtre lisible par le lecteur mp3 lorsque l’utilisateur met fin Ă l’abonnement » www.naspter.com
[4] Google Livres, une fois opĂ©rationnel, permettrait de chercher dans lâensemble des livres imprimĂ©s disponibles comme on cherche sur Internet » books.google.fr
[5] Le projet de loi relatif aux Droit dâAuteur et Droits Voisins dans la SociĂ©tĂ© de lâInternet a fait grand bruit en dĂ©cembre dernier. Les dĂ©bats devraient reprendre Ă lâAssemblĂ©e Nationale dans les prochaines semaines.
- Demain les livres
- 1. L’e-book pour demain ? (4 fĂ©vrier 2006)
- 2. Le papier électronique (19 février 2006)
- 3. L’Ă©dition Ă©lectronique (6 mars 2006)