Le Clan des Otori, de Lian Hearn

Le Clan des Otori

VoilĂ  une saga qui a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une politique Ă©ditoriale des plus floues. PubliĂ© en France chez Gallimard Jeunesse, il sera rangĂ© par les libraires aux cĂŽtĂ©s de Harry Potter et des Orphelins Baudelaire. La critique du journal Le Monde, citĂ©e au dos, le recommande pourtant « aux adultes et aux adolescents ». Puis, surprise, la version poche sera publiĂ©e dans la collection Folio, rĂ©servĂ©e habituellement Ă  la littĂ©rature « blanche » et aux oeuvres de S.F. honorables, comme 1984. Trop adulte pour Folio Junior, la trilogie de Lian Hearn aurait tout Ă  fait eu sa place aux cĂŽtĂ©s de La voie du sabre de Thomas Day chez Folio SF. Alors, quoi ? Les voies de l’Ă©dition sont impĂ©nĂ©trables.

« Le silence tomba, comme Ă  l’instant oĂč la vague va se briser, puis nous nous retrouvĂąmes dans la mĂȘlĂ©e : la bataille avait commencĂ©e. Seuls les chroniqueurs Ă©crivant aprĂšs coup peuvent raconter le dĂ©roulement d’un combat, et la plupart du temps ils ne rapportent que le rĂ©cit du vainqueur. Quand on est en plein combat, il est impossible de savoir comment tourne l’affrontement. MĂȘme si l’on pouvait le contempler d’en haut, avec les yeux d’un aigle, on apercevrait qu’une tapisserie vibrante de couleurs, oĂč les emblĂšmes et les banniĂšres, le sang et l’acier s’entremĂȘleraient en une splendeur de cauchemar. Sur un champ de bataille, tous les hommes deviennent fous. Autrement, comment pourrions-nous faire ce que nous faisons et supporter de voir ce que nous voyons ? »

Le Clan des Otori

La trilogie du Clan des Otori se prĂ©sente sous la forme des mĂ©moires de Takeo, un jeune garçon provincial qui, aprĂšs vu sa famille et son village massacrĂ© sous ses yeux, est recueilli par le seigneur Otori Shigeru. ElevĂ© comme le fils du seigneur, il apprend durant son enfance et son adolescence l’art noble de la guerre auprĂšs de son pĂšre adoptif en ruminant sa vengeance. Son chemin croisera ceux du mystĂ©rieux Muto Kenji et ses talents hors du commun ou de la belle Kaede dont la rumeur dit que tous ceux qui l’ont dĂ©sirĂ© sont morts.

Le Clan des Otori

Un fermier qui a vu massacrer sa famille, appelĂ© Ă  devenir un grand hĂ©ros, un seigneur plein de bontĂ©, un sage mystĂ©rieux aux pouvoirs surnaturels, un jolie fille, un mĂ©chant cruel qui ne connaĂźt pas la pitiĂ© : un ramassis de clichĂ©s, autant d’ingrĂ©dients susceptibles de produire un bon gros cycle de fantasy comme on les connaĂźt bien. Heureusement, tout cela vole en Ă©clats dĂšs la fin du premier tome avec la disparition de Iida, le mĂ©chant cruel, et la rĂ©solution de l’intrigue de dĂ©part. DĂšs lors, Takeo se retrouve livrĂ© Ă  lui-mĂȘme, face Ă  ses responsabilitĂ©s et ses engagements contradictoires. La vĂ©ritable histoire, vaste fresque politique et psychologique, dĂ©bute alors.

Le Clan des Otori

La grande qualitĂ© de Lian Hearn est de savoir construire des histoires parfaitement proportionnĂ©es : Aux combats parfaitement chorĂ©graphiĂ©s mais qui sonnent toujours juste et aux batailles gigantesques rĂ©pondent des scĂšnes plus intimistes, tantĂŽt discussions empreintes de poĂ©sie et de philosophie trĂšs asiatique, tantĂŽt huis clos oppressant, confrontations dialectiques et psychologiques. L’Ă©criture est aussi raffinĂ©e qu’une estampe japonaise, Ă©lĂ©gante sans jamais alourdir le rĂ©cit, lĂ©gĂšre et subtile, toujours juste et trĂšs poĂ©tique et, pour notre plus grand bonheur, trĂšs bien traduite. Pour l’auteur, il s’agissait «d’Ă©crire avec du silence ».

Si les Ă©vĂšnements du Clan des Otori semblent se dĂ©rouler au Japon, Lian Hearn, une anglaise vivante en Australie, prie dĂšs le prĂ©ambule du premier tome les puristes d’excuser les incohĂ©rences qu’ils y trouveront. Elle n’a pas voulu crĂ©er un univers reflĂ©tant fidĂšlement le Japon mĂ©diĂ©val, mais plutĂŽt un environnement nouveau s’en inspirant. Seuls le peintre Sesshu et les villes de Hagi et Matsue ont Ă©tĂ© importĂ©s de la rĂ©alitĂ©, suggĂ©rant que l’aventure de Takeo se dĂ©roulerait dans les rĂ©gions de ??, situĂ©es au sud-ouest du Japon. Mais aprĂšs une rapide comparaison entre la carte du dĂ©but du livre et une du vĂ©ritable Japon, il semble que le rapport s’arrĂȘte ici.

Carte du Clan des Otori     Carte de Hagi et Matsue aujourd'hui

A partir de ces quelques Ă©lĂ©ments, Lian Hearn brode un univers riche, original et crĂ©dible. Ici, pas de cette grossiĂšre magie dont sont coutumiers les romans de fantasy. Seuls les membres de la Tribu, l’organisation secrĂšte dont fait parti Muto Kenji, disposent de « talents » hĂ©rĂ©ditaires qui apparaissent plus comme le rĂ©sultat d’un entraĂźnement physique intensif que comme de vĂ©ritables pouvoirs surnaturels : se rendre invisible, se dĂ©doubler, changer d’apparence, etc. Takeo lui-mĂȘme possĂšde une ouie extraordinairement fine qui lui permettra d’Ă©chapper de nombreuses fois aux assassins lancĂ©s Ă  ses trousses.

Le Clan des Otori

Rapidement dĂ©barrassĂ© de ses principaux ennemis, Takeo combattra surtout, outre d’immenses armĂ©es souvent supĂ©rieures Ă  la sienne, l’aviditĂ© et la bĂȘtise humaine – jusque parmi ses propres hommes. Loin d’ĂȘtre manichĂ©ens, la plupart des personnages du roman mĂ©prisent, et vont parfois jusqu’Ă  massacrer sans autre forme de procĂšs les Invisibles, de simple gens dont le seul dĂ©faut est de suivre une religion originale. Laquelle professe qu’il n’existe qu’un Dieu unique et une vie aprĂšs la mort (pas la peine de vous faire un dessin).

Le Clan des Otori

Il se trouve que Takeo a lui-mĂȘme Ă©tĂ© Ă©levĂ© dans cette croyance avant d’ĂȘtre adoptĂ© par Sire Shigeru et qu’il prendra souvent la dĂ©fense de ces parias, quitte Ă  se faire mĂ©priser de la caste des guerriers, Ă  laquelle il appartient dĂ©sormais. Notre jeune hĂ©ros apparaĂźt au final comme un vĂ©ritable humaniste, traitant avec autant de respect les guerriers que les fermiers ou les simples gens, pourvoyeur de profonds changements sociaux dans la sociĂ©tĂ© fĂ©odale en place. Et les premiers rapports avec « le continent », fournisseur de technologie, n’en est pas le moindre. A tel point, le rĂ©cit du Clan des Otori semble, plus que les mĂ©moires d’un jeune seigneur, le tĂ©moignage du basculement d’un monde archaĂŻque dans la modernitĂ©. On en est presque frustrĂ© lorsque s’achĂšve brusquement le troisiĂšme tome, pourtant plein de promesses.

Le Clan des Otori

Il y aurait encore beaucoup de choses Ă  dire sur Le Clan des Otori – sur le fascinant personnage de Kaede, sur la symbolique de la nature ou le sens des rĂȘves, etc. – mais le propos de ce billet n’est pas de faire un essai complet sur le sujet, simplement de vous donner envie de lire. En espĂ©rant que le but est atteint, et que vous allez vous ruer chez votre libraire pour dĂ©vorer cette excellente trilogie. D’autant qu’un film est d’ors et dĂ©jĂ  en prĂ©paration.

Le Clan des Otori, Livre IV : Le vol du héron

(mise à jour du 23 février 2006)

Le Clan des Otori Livre IV Le vol du héron de Lian Hearn

Durant seize annĂ©es, Takeo et Kaede ont rĂ©gnĂ© sur les Trois Pays en y apportant la paix et la prospĂ©ritĂ©, mais aujourd’hui, ce fragile Ă©quilibre est Ă  nouveau menacĂ©. Certains membres de la Tribu n’ont pas renoncĂ© Ă  leur vengeance. Les seigneurs de guerre menacent de faire Ă©clater la guerre civile, alors que l’Empereur des Huit Iles remet en cause la lĂ©gitimitĂ© des Otori Ă  rĂ©gner sur les Trois Pays. Et c’est sans compter sur le fils de Takeo, qui a grandi loin de lui, et que la prophĂ©tie dĂ©signe comme le seul par qui la mort pourra l’atteindre.

La kirin du Clan des Otori ?

Ce quatriĂšme tome poursuit de façon inattendue la trilogie du Clan des Otori, que l’on croyait close avec La clartĂ© de la lune. Le procĂ©dĂ© aurait pu paraĂźtre grossier et ce nouvel opus superflu, mais il n’en est rien. On retrouve avec plaisir le style Ă©lĂ©gant de l’auteur, aussi raffinĂ©e qu’une estampe japonaise, plein de poĂ©sie et de subtilitĂ©, les personnages des prĂ©cĂ©dents tomes, toujours aussi attachants, ainsi que de nouveaux, comme les filles de Takeo et Kaede. Ici, l’histoire n’est plus racontĂ©e par le hĂ©ros : on saute de l’un Ă  l’autre des personnages du rĂ©cit, qui tissent ensemble une intrigue la vaste fresque du Clan des Otori, rĂ©solvant les questions laissĂ©es en suspens par la conclusion un peu frustrante de la trilogie originale. Jusqu’au dernier chapitre, Lian Hearn nous tient en haleine, et conclut pourtant son Ă©popĂ©e de la façon la plus Ă©vidente qui soit, comme si l’équilibre des forces du destin parvenait toujours Ă  se rĂ©tablir de lui-mĂȘme. Un roman envoĂ»tant et trĂšs Ă©mouvant.

Lian Hearn, Le Clan des Otori (Tales of the Otori)
» Livre 1, Le silence du rossignol (Across the nightingale floor), traduction de Philippe Giraudon, ed. Gallimard Jeunesse (2002), 333 p., 17€ – RĂ©Ă©dition, ed. Folio (2003), 372 p., 7€
» Livre 2, Les neiges de l’exil (Grass for his pillow), traduction de Philippe Giraudon, ed. Gallimard Jeunesse (2003), 346 p., 17€ – RĂ©Ă©dition, ed. Folio (2004), 385 p., 7€
» Livre 3, La clartĂ© de la lune (Brillance of the moon), traduction de Philippe Giraudon, ed. Gallimard Jeunesse (2004), 381 p., 17€ – RĂ©Ă©dition, ed. Folio (2005), 434 p., 5,40€
» Livre 4, Le vol du hĂ©ron (The harsh cry of the heron), traduction de Philippe Giraudon, ed. Gallimard Jeunesse (2007), 450 p., 23€

Liens
» Le site de Gallimard sur Le Clan des Otori
» Le site officiel anglophone

Lian Hearn est le pseudonyme d’une auteur australienne (donc) pour la jeunesse, Gillian Rubinstein. Elle a choisi de publier Le Clan des Otori sous un faux nom pour le distinguer de ses autres ouvrages pour la jeunesse Ă©crits dans un style radicalement diffĂ©rent, beaucoup plus enfantin, comme en tĂ©moigne son site. » Gillian Rubinstein

Lu sur ActuSF, un cinquiĂšme tome serait en prĂ©paration. Il s’agirait en fait d’une prĂ©quelle, qui se dĂ©roulerait avant les Ă©vĂšnements du premier tome, et raconterait la vie d’Otori Shigeru avant sa rencontre avec Takeo/Tomasu.(mise Ă  jour du 4 mars 2006)

15 rĂ©ponses sur “Le Clan des Otori, de Lian Hearn”

  1. Tour d’abord, je vous remercie, par le trackback, de m’avoir fait dĂ©couvrir votre blog qui plus est roule sur DoctClear et est skinnĂ© avec goĂ»t ;-). Les voies de l’Ă©dition sont certainement impĂ©nĂ©trables, j’ai eu le bonheur de lire Le Clan des Otori, parce que classĂ© dans le rayon SF pour enfant et adolescents. De mĂȘme que j’ai dĂ©couvert: Les Chroniques d’Alvin le faiseur d’Orson Scott Card.

  2. Hum…pour repondre a ta question Takeo n’est pas le seul narateur si mes souvenirs son bon, Kaede est aussi la naratrice. Je pense qu’il y aura une suite. (il y a tellement d’element pour ca dans l’Ă©pilogue)

  3. Salut, je trouve ton site trés bien fait, il est vraiment bien.
    Ta question est pas mal; La prophecie de l’oracle dit: "La mort ne peut t’atteindre que par la main de ton propre fils", c’est une possibilitĂ©, pas une obligation. A mon avis, il n’y a que son fils qui serai capable de le tuer mais il n’est pas dit qu’il le fasse.

  4. Cette trilogie est gĂ©niale je suis sous le charme et l’hĂ©roique Shigeru n’y est pas pour rien… Hate de lire « Le fil du destin »…

  5. je suis Ă©merveillĂ©e par ces livres et notamment par le talent de Lian Hearn. j’ai lu les 4 livres aprĂšs j’ai lu le dernier qui est Ă  la fois le premier et j’ai enchaĂźnĂ© avec les 4 autres de nouveaux. 🙂
    je me suis attachĂ©e aux personnages, j’ai beaucoup apprĂ©ciĂ© la philosophie dans ce livre, les descriptifs des paysages font rĂȘver. ce livre parle de la nature humaine, de ses dĂ©fauts et de ses qualitĂ©s. Je remercie l’Ă©crivain d’avoir mis en valeur les qualitĂ©s propres Ă  plusieurs personnages et d’avoir traitĂ© avec le respect les faiblesses humaines. car il n’y pas d’hommes parfait comme il n’y a pas que du beau temps.

  6. Je viens de terminer « Le chant du rossignol ».. MAGNIFIQUE tout simplement! c’est si bien Ă©crit que les hĂ©ros je les voyais bouger!…je rĂȘve d’un film et suis impatiente de lire les autres tomes!

    Pour rĂ©pondre, avec modestie, Ă  un des commentaires, la mort de Shigeru nous paraĂźt Ă  nous occidentaux comme un Ă©vĂ©nement tragique!, elle l’est en soi considĂ©rant qu’un ĂȘtre exceptionnel comme Shigeru on aurait voulu qu’il soit immortel! En mĂȘme temps, sa mort apparait comme Ă©vidente, obligĂ©e dans l’esprit japonais…il en sort grandi et surtout assurĂ©ment prĂ©sent dans la vie de tous ceux qui lui auront survĂ©cu!….

  7. Le Clan des Otoris, de Lian Hearn, est une histoire merveilleuse; on s’attache aux personnages, Ă  l’histoire et on a vite envie de lire la suite. MĂ©lange de suspens, d’amour, d’action et de « magie »… Ce sont mes livres prĂ©fĂ©rĂ©s avec Seras-tu lĂ , de Guillaume Musso !!

  8. Le clan des otori est le plus grand livre de tous les temps avec le Seigneur des Anneaux.C’est en faite le seigneur des Anneaux version Japonais.Ce livre est Ă  ce jour mon livre prĂ©fĂ©rĂ©.C’ est un livre magnifiquement bien Ă©crit.Ce que j’aime chez-lui, c’est sa franchise.Le mieux, c’est qu’il va ĂȘtre fait en film d’ici Ă  2011!!!!!!!!C’est super!!!!!!!
    Que c’est triste quand Takeo se suicide Ă  la fin de « Le Vol du HĂ©ron ».Mais bon c’est la vie!!!!

  9. Tout simplement le plus beau livre de tous les temps… Passionnant, bien Ă©crit, vraiment, je n’ai jamais trouvĂ© un livre comparable… Il est pourtant pas trĂ©s connu :/ En tout cas moi j’ai lu les 4 plusieurs fois :p

  10. C’est vraiment des livres magnifiques qui nous entrainnent dans un autre monde! L’auteur Ă©crit merveilleusement bien! je vous le conseille

  11. Les cinq volumes de la saga « Le clan des Otori » sont captivants d’un bout Ă  l’autre. Le fantastique se mĂȘlant Ă  l’histoire d’un Japon encore mĂ©diĂ©val tient le lecteur en haleine. On imagine Ă  travers ces Ă©crits les beautĂ©s du Japon traditionnel ( temples, demeures et jardins, paysages, etc. ). J’ai attendu avec impatience la sortie de chaque nouveau tome. Si un Ă©ventuel film en est tirĂ©, espĂ©rons qu’il sera Ă  la hauteur de l’ouvre de Lian Hearn.

  12. j’ai fais la connaissance du 1er tome ‘le silence du rossignol’ par une amie que je salut d’ailleur: katherine une chinoise de la terminale S Ă  Damas.
    je la remercie car grĂące Ă  elle j’ai pu lire ts ls autre tomes
    merci Ă  l’auteur d’avoir eu l’idĂ©e d’Ă©crire cette histoire,j’en languis encore.
    Vite le film maintenant!!!!!!!!!!!!!!!svp!!

  13. Vraiment dommage qu’il y ai des gens qui n’aiment pas la lecture.
    Pour moi c’est une privilĂšge de savoir lire et dont apprĂ©cier la fĂ©Ă©rie de l’Ă©vasion.En fait c’est la raison pour laquelle j’ai en admiration les Ă©crits de LIAN HEARN.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *