Depuis 1953, la revue Fiction publiait régulièrement les meilleurs textes de la revue américaine Fantasy & Science-Fiction ainsi qu’une selection de textes français et étrangers. Pour diverses raisons, la revue avait fait naufrage après son numéro 412, dernier opus publié en 1990, laissant un grand vide dans le paysage éditorial de la SF française. Il aura fallu attendre l’année 2004 pour qu’une petite maison d’édition française, Les moutons électriques (1) tente à nouveau l’aventure. Comme dans tout assemblage hétéroclite de textes, il y a du bon et du mauvais… petite selection.
Jusqu’à la pleine lune, de Sean McMullen ouvre le bal sur une intrigue paléontologique. Un jeune étudiant linguiste est appellé par son oncle pour tenter d’établir le dialogue avec une jeune fille appartenant visiblement à l’honorable race des hommes de Néanderthal. Comment un membre d’une race disparu depuis des millions d’années a-t-elle pu échapper ainsi à l’évolution et se trouver avec sa tribu dans le fin fond de l’Espagne/du Portugal ? Une nouvelle sympathique qui commence comme un polar mais relève bien de la science-fiction, grâce à une idée très bien vu.
L’anniversaire du monde, d’Ursula Le Guin, se déroule dans son univers de l’Oecumène. L’excellent article de Margaret Artwood, La Reine des Deux Royaumes, qui suit la nouvelle, nous en dit plus sur l’oeuvre de l’auteur de Terremer et sur les deux réalités parralèlles qu’elle a imaginées. Dans celle de l’Oecumène, l’humanité s’est éparpillée dans les étoiles avant que son empire ne s’effondre et que chaque planète, coupée des autres, évolue de son côté pendant quelques millénaires. Lorsqu’un nouvel empire se forme, des envoyés parcourent la galaxie à la recherche des colonies perdues de l’humanité dans un but, non pas colonialiste, mais… anthropologique. C’est l’occasion de dépeindre toutes sortes de sociétés étranges aux moeurs étonnantes et bien souvent difficilement appréhendables.
Dans L’anniversaire du monde, Ursula Le Guin imagine une société inspiré (paraît-il) de la mythologie Inca : Le monde est ainsi gouverné par Dieu lequel est formé du couple incestueux d’un frère et d’une soeur. Le fils et la fille de Dieu ne sont encore que des enfants lorsque le père meurt et qu’ils doivent prendre la relève, mais les oracles prédisent pour le jour du couronnement, le fameux anniversaire, un grand malheur, dont le crash d’un vaisseau venu de l’espace ne sera pas le moindre…
Voyage au centre de l’univers, de Juan Miguel Aguilera, est un hommage à Jules Verne. Je croyais ne plus pouvoir en avaler une miette après une année de commémorations en tout genre et quelques jours aux dernières Utopiales (2) et pourtant ! Ce texte a presque réussi à m’émouvoir. On y voit un vieux Jules Verne cloitré dans sa maison d’Amiens, solitaire dans les dernières années de sa vie, jusqu’à ce que vienne l’en tirer de force le jeune Teillhard de Chardin. En sortant, Verne est stupéfait : tout est à l’abandon, comme s’il n’était pas sorti de sa retraite depuis des années. Est-il mort ? Des plus lourds que l’air à la théorie des supercordes, un véritable voyage extraordinaire et un émouvant hommage au grand-père de la SF française.
Presque chez soi de Thierry Bisson raconte l’aventure de trois enfants, Troy, Bug et la fille tordue qui s’aperçoivent que la buvette abandonnée de la vieille piste de course ressemble quand même pas mal un avion. D’ailleurs, ils n’ont jamais bien su à quoi elle servait, cette piste, puisque jamais personne n’a couru dessus. Et si elle avait n’avait été construire que dans le seul but de camoufler l’avion ? Et cet avion, vole-t-il encore ? Une très jolie fable sur l’enfance, l’imagination et la mort, dans l’esprit du film Stand by me, qui m’aurait presque tiré quelques larmes.
Enfin, ma préférée, mon coup de coeur, Charge Utile de Jean-Jacques Régnier, met en scène le pilote d’un vaisseau en route pour la Lune depuis Callisto. Dans sa soute, une centaine d’individus congelés dans des caissons de ? et tout irait pour le mieux si les passagers ne commençaient pas à s’éveiller et à débarquer dans le poste de pilotage l’air égaré. Dans le champ faFa, impossible de faire demi-tour ou d’appeller à l’aide : c’est rapidement la panique dans le petit vaisseau prévu pour sustenter en vivres et en oxygène tout au plus quatre personnes. Heureusement qu’Ernest, l’ordinateur de bord, a le sens de l’humour. Charge Utile est en fait la suite d’une autre nouvelle, Ernest et les cas métaphysiques, publiée dans Yellow Submarine (3) , tout aussi jubilatoire, mais les deux peuvent se lire indépendamment.
Paraissant deux fois par an, le nouveau Fiction est un très bel objet, bien mis en page et largement illustré qui ne nous fait pas regretter son prix légèrement élevé. Mais ce qui compte, bien sûr, c’est l’intérieur. Ici la proportion de bons textes est assez conséquente, là où dans Galaxies ou Bifrost elle avoisine parfois le néant. Sur une quinzaine de textes, cinq m’ont paru excellents, et seulement deux si dénués d’intérêt que je n’en suis pas venu à bout.
» Fiction tome 1, Anthologie périodique de fantasy et science-fiction, ed. Les moutons électriques (Printemps 2005), 179 p., 20€
(1) N’hésitez pas à jeter un coup d’oeil au site de la maison d’édition de Fiction pour découvrir son excellent travail, tant sur le plan éditorial que graphique, et notamment la prometteuse collection « biliothèque rouge ». Il est par ailleurs plus que probable que vous entendiez parler des prochains numéros de Fiction ici (un numéro paru à l’automne dernier, un autre prévu pour mars prochain). » Les moutons électriques » Le Blog d’AF Ruaud
(2) Les Utopiales : le festival de SF de Nantes, qui se tient chaque année au moi de novembre. Double bonne raison pour célébrer Jules Verne l’année dernière, à l’occasion du Xème anniversaire de sa mort. » Utopiales
(3) Yellow Submarine, « la plus ancienne revue de science-fiction » en activité est en quelque sorte la grande soeur de la nouvelle revue Fiction. André-François Ruaud est rédacteur en chef des deux revues. » Yellow Submarine