Les Braises, de Sandor Marai

Les Braises

Lorsque j’ai commencĂ© Ă  Ă©crire ce blog, mon idĂ©e Ă©tait de parler de S.F. A l’Ă©poque, je lisais Ă  peu prĂšs quatre-vingt-dix pour cent de SF et je m’Ă©tais laissĂ© la possibilitĂ© de parler des dix pour cent restants dans la rubrique Ouvertures. Depuis, j’ai commencĂ© Ă  travailler en librairie et mes lectures se sont considĂ©rement diversifiĂ©es. Souvent, j’aborde un livre un peu classique avec une certaine apprĂ©hension. Parfois, ma premiĂšre impression est fausse, et je le dĂ©vore. Je crois qu’il n’y a qu’une seule chose de mieux qu’un bon livre : c’est un livre qu’on lit Ă  reculons et dont on se rend compte Ă  la lecture qu’il est extraordinaire.

Les Braises de Sandor Marai raconte les retrouvailles de deux vieillards, autrefois amis, qui ne se sont pas vus depuis quarante ans. Les premiers chapitres relatent l’attente du gĂ©nĂ©ral, qui vient d’apprendre l’arrivĂ©e imminente de son ami Conrad, son calme placide tandis qu’il fait prĂ©parer la maison pour le recevoir, ses souvenirs d’enfance qui remontent Ă  la surface. Ces quelques pages un peu longues ne doivent pas dĂ©courager le lecteur : elles ne sont qu’un prĂ©ambule, et dĂšs que commence le dialogue, vĂ©ritable coeur du texte, impossible de dĂ©crocher.

Sandor Marai

La grande force de ce roman, c’est sa narration. L’auteur a choisi, pour raconter cette histoire, un narrateur extĂ©rieur, qui ne connaĂźt rien des personnages ni des tenants et aboutissants de leur relation. Il se contente donc de dĂ©crire les Ă©vĂšnements tels qu’ils surviennent, sans explication. DĂ©stabilisante au premier abord, cette Ă©criture prend tout son sens lorsque s’amorce le dialogue entre les deux anciens amis et que se dĂ©voile la vĂ©ritable histoire. On apprend rapidement que Conrad est parti un beau jour sans explication et que la raison de cette disparition mystĂ©rieuse est la clĂ© de voĂ»te de toute l’intrigue. Le lecteur est dĂšs lors prisonnier du discours du gĂ©nĂ©ral, qui mĂšne le dialogue et le ponctue de rebondissements comme autant de coups de thĂ©Ăątre Ă  chaque fin de chapitre.

En somme, Les Braises est presque un roman policier. Souvenez-vous du Crime de l’Orient Express oĂč l’on est face Ă  ce qui semble un mystĂšre insoluble pendant tout le rĂ©cit. Jusqu’au dernier chapitre oĂč Hercule Poirot, dans un long dialogue avec les principaux personnages, dĂ©voile le rĂ©sultat de son enquĂȘte en reconstituant toute l’histoire jusqu’au meurtre. Et lĂ  quel pied ! Les Braises, c’est en quelque sorte un dernier chapitre d’Agatha Christie ou de Conan Doyle subtilement diluĂ© sur tout un roman. RĂ©sultat : un suspens haletant.

Sandor Marai

Cerise sur le gĂąteau, jamais le style Ă©lĂ©gant de l’auteur ne s’Ă©gare dans de lourdes disgressions descriptives susceptibles de noyer le rĂ©cit. L’ambiance se construit d’elle-mĂȘme, tantĂŽt lĂ©gĂšre, tantĂŽt lourde, dynamiquement au fil des dialogues. Plus encore, il donne aux discussions une emphase grandiose, tragĂ©dique, et dessine mĂ©ticuleusement les deux personnages, l’accusateur puissant et determinĂ© face au coupable faible et perdu. Et qui, malgrĂ© cela, ne sont plus que les ombres d’eux-mĂȘmes, vestiges d’un passĂ© glorieux depuis longtemps brisĂ©. Discours sur les relations humaines, fable sur l’amitiĂ© et l’amour, Les Braises, bien plus que le dialogue entre deux hommes, est le rĂ©cit de la mort d’une Ă©poque et d’un monde, celui de la grande Europe – façon Stefan Zweig.

Ouaip. Rien que ça.

» Sandor MARAI, Les Braises (A gyertyak csoking Ă©gnek), traduction de Marcelle et Georges RĂ©gnier, ed. Albin Michel (1995), 189 p., 14,90€ – RĂ©Ă©dition, ed. Livre de Poche (2003), 219 p., 6€

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