Neuromancien, de William Gibson

Neuromancien

Il semble qu’il existe un paradoxe singulier et propre au monde de la SF qui veuille que les auteurs de cyberpunk soient les plus baba-cools et proches-de-la-nature qui soient. Il y a deux mois, pendant les Utopiales, j’entendais ainsi Neal Stephenson, l’auteur de Snowcrash dĂ©clarer qu’il n’utilisait pour Ă©crire ses histoires qu’une feuille de papier et un crayon. Les ordinateurs, il les connaĂźt bien : il sait qu’on ne peut pas s’y fier. Et j’apprenais pas plus tard qu’hier par le Cafard Cosmique que le secret de William Gibson pour Ă©crire Ă©tait de ne jamais regarder face Ă  la tĂ©lĂ©vision. VoilĂ  que ceux qui sont les plus proches de la technologie en sont aussi les plus mĂ©fiants. Etonnant, non ?

« Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service. »

Roman cultissime (c’est Ă  dire : un classique de moins de cinquante ans) de la Science-Fiction, le Neuromancien n’est rien de moins que la bible du mouvement cyberpunk et William Gibson, son fondateur. C’est Matrix vingt ans avant les frĂšres Machinski. Immense visionnaire, l’auteur y dĂ©couvre avant tout le monde la rĂ©alitĂ© virtuelle, le cyberespace, le rĂ©seau Ă  l’Ă©chelle planĂ©taire, les images de synthĂšse en trois dimensions, la globalisation de la culture japonaise et deux trois autres choses moins sympa dont on espĂšre qu’elles ne se rĂ©aliseront pas aussi exactement.

Neuromancien

Case le hacker a commis une erreur : il a tentĂ© de doubler son employeur. Pour punition, on lui a grillĂ© le cerveau Ă  l’aide d’une mycotoxine russe. Plus question maintenant de se projeter dans la Matrice, sa raison de vivre. Case est un droguĂ© en manque qui s’apprĂȘte Ă  passer un sale moment. Aussi, quand le mystĂ©rieux Morpheus Armitage accompagnĂ© de sa mercenaire sexy Trinity Molly lui apprend qu’il est une pile Duracell propose de payer les rĂ©parations de son cortex en Ă©change d’un petit boulot, Case ne se le fait pas dire deux fois. Mais en est-il encore capable ?

Matrix Duracell

A l’image de la cĂ©lĂšbre phrase d’ouverture qui ouvre le roman, le monde dĂ©crit par William Gibson est plutĂŽt morose. La drogue, comme les implants ou les bio-modifications, sont monnaie courante. Le monde est dirigĂ© par les corporations, les guerres durent quelques heures et tendent Ă  ĂȘtre remplacĂ©es par le terrorisme. Les villes ont Ă©tĂ© avalĂ©es par des zones urbaines gigantesques qui s’Ă©tendent sur des kilomĂštres. Les hĂ©ros passent leur temps Ă  avaler des sushis et des brochettes au fromages. Le ciel est gris, bordel.

Neuromancien

Difficile de dire si j’ai aimĂ© le Neuromancien. Avec son style trĂšs Ă©vocateur, Gibson a sans aucun doute un don pour mettre en mots les images qu’il a en tĂȘte. Mais il prend le parti de nous plonger dans son univers avec son jargon et sans aucune explication, ce qui est aussi immersif que dĂ©boussolant. Parfois mĂȘme un peu obscur. Exemple :

« Il pensait : les cow-boys ne sont pas branchĂ©s simstim, c’est essentiellement un joujou de viandard. Il savait que les trodes qu’il utilisait et la petite tiare de plastique qui pendouillait de la console de simstim Ă©taient fondamentalement identiques, et que la matrice du cyberespace Ă©tait en vĂ©ritĂ© une hyper-simplification du sensorium humain, du moins en terme de prĂ©sentation, mais il voyait le simstim proprement dit comme une multiplication gratuite des capteurs de la chair. La version commerciale Ă©tait filtrĂ©e, bien entendu, de sorte que si Tally Isham se chopait une migraine en cours de segment, vous ne la ressentiez pas. »

Neuromancien

Et tout ça sans qu’on vous explique jamais ce qu’est un simstim, une trode, Tally Isham ou un segment. On finit par s’y faire, Ă  force de croiser ces termes absconts, d’en deviner le sens. Et ce n’est pas sans avantage : si on a du mal Ă  entrer dans le livre, une fois qu’on y est, on y croit dur comme fer. Je ne saurais dire si j’ai aimĂ© le Neuromancien, donc, mais je ne suis pas sĂ»r de lire ses deux suites ou les autres livres de Gibson. Mais ça ne m’empĂȘchera pas de vous recommander ce roman pour ce qu’il a apportĂ© au genre comme Ă  l’imaginaire collectif.

Peut-ĂȘtre simplement que le cyberpunk, c’est pas mon truc. Moi je n’ai pas peur de l’informatique, et d’ailleurs j’Ă©cris ce billet dans le mĂ©tro, avec un ordinateur de la taille d’un livre de poche sur les genoux. C’est pas cyber, ça ?

Une rĂ©ponse sur “Neuromancien, de William Gibson”

  1. C’est bizarre que les auteurs de cyberpunk soient un peu technophobes. Qu’est-ce qui les inspirent alors, si ce n’est pas les nouvelles technologies? En ce qui concerne le roman, avec des termes incomprĂ©hensibles comme ceux du passage dans l’article, je pense que j’aurais abandonnĂ© la lecture avant la fin du livre. Finalement peut-ĂȘtre que le cyberpunk n’est pas fait pour moi non plus.

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